• La violence en héritage

     

     "Je suis condamné à quatre mois de prison avec sursis pour violence conjugale, assortis d'une mise à l'épreuve de dix-huit mois et d'une injonction de soins.

    J'ai trente-trois ans."

     

    Ainsi débute Sale Bourge, écrit par Nicolas Rodier aux Éditions Flammarion.

     

    Nous sommes dans les années 80. Pierre est le fils aîné d'une famille bourgeoise, nombreuse et déboussolée et de parents maltraitants.

     

    "Le week-end, quand notre mère nous frappe, notre père a toujours quelque chose à faire - descendre les poubelles, vider le lave-vaisselle, trier les papiers, jouer au tennis [...] Le soir, parfois, après la prière, il nous demande d'être plus gentils et obéissants avec notre mère".

    L'auteur dénonce les méfaits de l'éducation traditionnelle, qui a pour but de briser la volonté de l'enfant pour en faire un être docile et obéissant.

    Il montre comment les enfants battus battront à leur tour, les menacés menaceront, les humiliés humilieront.

     Un témoignage captivant à double titre: il décortique les mécanismes de la violence familiale et l'obsession des parents à fabriquer des petits génies.

    "A la fin de mon année de CM1, j'obtiens le prix d'excellence, je suis le premier de la classe".

    Ma mère insiste : Je suis fait pour les grandes études, elle le sent. Je ferai ma prépa , comme son père, ça l'émeut beaucoup, m'explique-t-elle.

    Maintenant, je te vois plus faire HEC que Polytechnique. Mais ce n'est pas plus mal. Les femmes préfèrent toujours les HEC aux polytechniciens ou aux ingénieurs en général.

    Puis elle ajoute : Il n'y a rien de pire, tu sais, dans la vie, que de se faire dicter ses choix ou marcher sur les pieds".

     

    Pierre, malgré ses tentatives de résistance, ne parvient pas à s'extirper de ce moule et cette violence familiales.

    "Nous n'avons pas les mêmes capacités de nous affranchir du passé et de choisir notre vie [...] La famille est un mot d'ordre, quelque chose qui s'impose à nous".

     

    "J'ai envie d'écraser quelque chose, de rabaisser le monde, de le mettre au niveau de l'estime que je me porte présentement, à savoir le mépris le plus total. Je me sens ficelé, ciselé. Je hais notre société de confort. Le positivisme et la bonne humeur. J'ai été façonné autrement. dressé. névrosé comme un chien".

     

    Pierre est violent parce que victime de maltraitance de ses parents, eux-mêmes fracassés dans leur jeunesse. Petit à petit, les secrets et les traumatismes remontent d'ailleurs à la surface.

    La transmission transgénérationnelle de cette violence est la plus terrible des conséquences de la maltraitance. Et ce cercle vicieux de la répétition de la maltraitance traverse toutes les classes sociales.

    Ici les bourreaux sont aussi les victimes et les victimes deviennent à leur tour des bourreaux.

    Ce livre est un témoignage bouleversant, âpre et dérangeant dénonçant la haine de tout ce qui ne colle pas au modèle ancestral, l'homosexuel, le raté social, l'étranger.

    Les phrases et les chapitres sont courts. L'écriture est carrée, sans pathos. Implacable.

    Nicolas Rodier donne la parole à l'enfant blessé et à celui qui blesse parce qu'il a été blessé. Sans jamais l'excuser.

    Un premier roman essentiel.

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